Quel pourcentage prend un éditeur ?
Question simple en apparence, réponse qui se déploie en nuances. Le pourcentage qu’un éditeur « prend » n’est pas une donnée figée : il dépend du format, du marché, du contrat, des droits cédés et des usages. Entre l’avance sur droits, le pourcentage sur le prix public, la base de calcul (prix public HT, prix éditeur ou recettes nettes) et les nombreuses déductions, l’écrivain découvre un paysage où chiffres et clauses se répondent. Ce texte propose de préciser ces notions, de donner des repères chiffrés, d’expliquer les mécanismes et d’illustrer par des exemples concrets pour mieux voir ce que signifie réellement la part de l’éditeur.
Notions essentielles pour comprendre les pourcentages
Royalties, avance et base de calcul
Le mot « pourcentage » renvoie le plus souvent aux royalties, c’est‑à‑dire la part du prix d’un exemplaire qui revient à l’auteur. Cette part peut être exprimée de plusieurs façons dans un contrat. Elle peut être calculée sur le prix public hors taxe (prix affiché déduit de la TVA), sur le prix public TTC, sur le prix net perçu par l’éditeur après remises et frais, ou sur le prix éditeur (prix auquel le distributeur achète le livre). Comprendre quelle est la base de calcul est central : 10 % sur le prix public HT n’a pas la même valeur que 10 % sur ce que l’éditeur reçoit réellement après remises et frais.
L’avance sur droits est une somme versée à l’auteur lors de la signature du contrat. Elle fonctionne comme un acompte : l’éditeur avance de l’argent qui sera ensuite « recouvré » par l’éditeur sur les royalties dues jusqu’à épuisement de cette avance. Avant que l’avance soit « remboursée », l’auteur ne reçoit pas de paiements supplémentaires. La présence d’une avance est un signe d’engagement financier de l’éditeur, mais elle peut aussi donner l’illusion d’un gain immédiat alors que la suite dépendra des ventes effectives.
Différence entre édition traditionnelle et édition à compte d’auteur
Dans l’édition traditionnelle, l’éditeur prend en charge la fabrication, la distribution, la communication et assume le risque financier : c’est pourquoi il perçoit une marge et verse des royalties à l’auteur. Dans l’édition à compte d’auteur (ou à compte d’éditeur inversé), l’auteur paie pour publier : la logique est alors différente et les « pourcentages » n’ont pas la même signification. Il est important, au moment de signer, de savoir qui supporte les coûts et qui supporte les risques.
Les taux habituellement observés en édition traditionnelle
Roman et œuvre générale en papier (grand format)
Pour les ouvrages en grand format, les taux pratiqués varient souvent entre 7 % et 12 % du prix public hors taxe selon l’éditeur, la notoriété de l’auteur et le potentiel commercial. Un auteur débutant peut se voir proposer un taux plus modeste, tandis qu’un nom établi ou une forte négociation pourra obtenir un pourcentage en haut de la fourchette, parfois assorti d’une avance plus importante et d’échelons progressifs selon les paliers de vente.
Livres de poche
Pour les rééditions en format poche, le taux baisse généralement : des pourcentages de l’ordre de 5 % à 8 % sont fréquents. Le format poche vise un prix public plus bas et des tirages plus importants, ce qui justifie une rémunération un peu moindre par exemplaire mais qui peut se compenser par des ventes supérieures.
Livres jeunesse et albums illustrés
Pour la littérature jeunesse et les albums illustrés, les situations sont variables. Les albums très illustrés impliquent des coûts de production plus élevés ; les droits de l’illustrateur peuvent être distincts. Les taux pour l’auteur (ou l’auteur‑illustrateur) peuvent se situer dans une fourchette comparable à celle de la littérature générale, mais la négociation intègre souvent des clauses spécifiques concernant les droits d’illustration, la cession des dessins, et la gestion des tirages.
Numérique (ebook)
Le numérique fonctionne différemment. Les plateformes de vente prélèvent une commission (parfois autour de 30 % dans certains cas) sur le prix public TTC. L’éditeur applique ensuite au montant net reçu un pourcentage de droits à l’auteur. Les taux observés dans l’édition traditionnelle pour le numérique varient souvent entre 20 % et 30 % du net perçu par l’éditeur. Certains contrats prévoient des taux plus favorables au-delà de certains niveaux de vente.
Livre audio
Le marché de l’audio a ses propres règles, souvent liées aux négociations avec les plateformes d’écoute et au mode de production (production interne de l’éditeur ou cession de droits à un tiers). Les pourcentages pour l’auteur se situent fréquemment entre 10 % et 20 % des recettes nettes perçues par l’éditeur, et peuvent être différents selon que l’éditeur produit l’audio lui‑même ou cède les droits audio à un producteur.
Ventes à l’étranger et cession de droits
Lorsque les droits sont vendus à un éditeur étranger, la répartition des sommes perçues peut être traitée de différentes façons. Il est courant que l’éditeur d’origine perçoive un paiement pour la cession des droits et qu’un partage s’opère entre l’auteur et l’éditeur d’origine. Une pratique répandue consiste à répartir 50 % au profit de l’auteur et 50 % pour l’éditeur pour les sommes reçues par celui‑ci pour la revente de droits. Cependant, cette règle n’est pas universelle et doit être prévue explicitement dans le contrat.
Ce que représente réellement la part de l’éditeur
Remises, diffusion et distribution : des coûts qui grignotent la base
Dans la chaîne du livre, le prix affiché ne revient jamais intégralement à l’éditeur. La loi du prix unique du livre fixe le prix de vente au public, mais l’éditeur doit consentir des remises aux distributeurs et aux libraires, payer le diffuseur, assumer la promotion et la gestion des retours. Ces remises peuvent considérablement réduire le montant que l’éditeur encaisse par exemplaire. Par conséquent, un pourcentage annoncé dans le contrat peut représenter une part du prix public, mais l’éditeur reçoit moins après charges et remises, et l’auteur reçoit seulement la part prévue contractuellement sur la base retenue.
Effet des retours
Les retours, c’est‑à‑dire les exemplaires invendus retournés par les librairies, pèsent lourdement sur l’économie du livre. Certains contrats imposent que les royalties ne soient dues qu’après vente définitive, c’est‑à‑dire après déduction des retours. Dans ce cas, les ventes déclarées peuvent être réduites par un taux important de retours sur une période donnée. Cela influe sur la vitesse de recouvrement d’une avance et sur les sommes effectivement versées à l’auteur.
Exemples chiffrés pour éclairer
Exemple 1 : livre papier grand format
Imaginons un livre affiché au prix public TTC de 20 euros. Pour simplifier, prendre le prix public hors taxe (HT) comme base de calcul. Supposer un prix public HT de 19 euros. Si le contrat prévoit 10 % de royalties sur le prix public HT, l’auteur touchera 1,90 euro par exemplaire vendu. Si l’éditeur applique une remise commerciale de 40 % au distributeur, l’éditeur reçoit 19 × 0,60 = 11,40 euros par exemplaire. L’auteur reçoit donc 1,90 euro sur ces 11,40 euros ; cela représente environ 16,7 % de la somme perçue par l’éditeur et 9,5 % du prix public TTC (1,90 / 20). Si une avance de 5 000 euros a été versée, il faudra vendre 5 000 / 1,90 ≈ 2 632 exemplaires pour atteindre le point d’équilibre et déclencher des paiements supplémentaires à l’auteur.
Exemple 2 : ebook vendu 9,99 euros
Pour un ebook vendu 9,99 euros, si la plateforme prélève 30 %, l’éditeur reçoit 9,99 × 0,70 = 6,99 euros par vente. Si l’auteur a 25 % de royalties sur le net perçu par l’éditeur, il touchera 6,99 × 0,25 ≈ 1,75 euro par vente, soit environ 17,5 % du prix public TTC. Comparé au livre papier, le taux par rapport au prix public peut être plus élevé sur l’ebook, mais la dynamique du marché et la concurrence des plateformes changent les équilibres.
Clauses contractuelles à surveiller
Base de calcul
La clause qui définit la base de calcul des royalties est essentielle. Il s’agit de savoir si le pourcentage s’applique au prix public TTC, au prix public HT, au prix net perçu par l’éditeur après remises, ou au prix éditeur. Une même valeur en pourcentage peut signifier des montants très différents selon cette base. Demander des précisions rédactionnelles et, si possible, préférer le calcul sur le prix public HT ou sur le prix net reçu, selon la stratégie commerciale.
Échelons et paliers
Certains contrats prévoient des paliers : le taux peut augmenter après un certain nombre d’exemplaires vendus. Par exemple, 10 % jusqu’à 3 000 exemplaires, puis 12 % au‑delà. Ces clauses peuvent s’avérer intéressantes pour un livre qui a des perspectives de longévité et de ventes soutenues. Il est judicieux d’examiner la possibilité d’augmentations progressives plutôt que d’un taux fixe.
Droits cédés et exploitations secondaires
La cession des droits (traduction, audiovisuel, numérique, merchandising) mérite une attention particulière. Les contrats peuvent prévoir que l’éditeur perçoit une commission sur la vente de ces droits, ou qu’il reverse une part définie à l’auteur. Les rémunérations pour les droits secondaires sont souvent négociées séparément et peuvent représenter une source de revenus non négligeable. Il est fréquent d’obtenir un partage 50/50 pour la vente de droits à l’étranger si l’éditeur a négocié la cession.
Modalités de paiement et transparence
La fréquence des paiements (annuelle, semi‑annuelle), les modalités de décompte, la possibilité d’audit, la remise des comptes de vente sont autant de points à clarifier. Un calendrier précis et une clause d’audit permettent à l’auteur de vérifier les ventes et les calculs. La transparence est un gage de confiance et facilite la compréhension de la manière dont les pourcentages se traduisent en montants.
Variantes et situations particulières
Contrats collectifs et anthologies
Pour les ouvrages collectifs, anthologies ou ouvrages dirigés, la rémunération peut prendre la forme d’un forfait pour la contribution ou d’une part de royalties, plus faible. La gestion des droits et des paiements devient alors collective et nécessite une répartition claire entre les contributeurs.
Coédition et partenariats
La coédition implique plusieurs acteurs partageant les coûts et les revenus. Les pourcentages peuvent être négociés différemment selon la contribution de chacun (fabrication, distribution, promotion). Les modalités doivent être écrites pour éviter les ambiguïtés sur qui reçoit quoi, selon les territoires et les formats.
Réimpression et poche par un autre éditeur
Si un ouvrage en grand format passe ensuite en poche chez le même éditeur, le taux change habituellement pour refléter le nouveau format. Si un tiers acquiert les droits poche, la somme reçue pour la cession peut être partagée selon les termes du contrat initial : la clause de revente des droits devrait préciser le pourcentage revenant à l’auteur.
Comparaison avec l’autopublication
Pourcentages et responsabilités
En autopublication, l’auteur prend les rôles de l’éditeur et supporte les coûts de fabrication, de distribution et de promotion, mais conserve une part beaucoup plus importante des recettes unitaires. Sur certaines plateformes, les auteurs peuvent percevoir jusqu’à 70 % du prix de vente d’un ebook sous conditions, ou 35 % selon le barème. En revanche, l’auteur doit assumer la logistique, la visibilité, la gestion fiscale et commerciale, et la qualité de fabrication dépendra des moyens engagés. Le choix entre édition traditionnelle et autopublication repose donc sur un arbitrage entre contrôle, rémunération brute et investissements en temps et en argent.
Conseils pratiques pour négocier
Lire le contrat et comprendre chaque clause
Avant de signer, relever et comprendre la clause de base de calcul des royalties, la gestion des retours, les conditions de versement, la durée et le périmètre des droits cédés. Clarifier ce qui relève d’une cession exclusive ou non‑exclusive et sur quelle durée et quels territoires. Demander des exemples chiffrés pour visualiser l’impact réel des pourcentages en fonction d’un prix public donné.
Demander des indexations et des paliers
Prévoir des paliers de progression des royalties en fonction du nombre d’exemplaires vendus et proposer des mécanismes d’indexation si la maison souhaite modifier la stratégie commerciale (changement de format, lancement à l’étranger, adaptation audiovisuelle). Ces clauses permettent de bénéficier d’une meilleure rémunération si le livre rencontre son public.
Veiller aux droits secondaires
Ne pas céder par défaut tous les droits pour une durée illimitée et pour l’ensemble des supports. Préférer des cessions limitées et bien définir la rémunération pour la traduction, l’adaptation audiovisuelle, le livre audio et les usages numériques. Lorsque possible, négocier une clause spécifique pour la revente des droits à l’étranger afin d’éviter une répartition trop défavorable.
Regarder au‑delà des pourcentages
La visibilité, la distribution et la longévité du livre
Un pourcentage attractif n’est pas tout si l’éditeur n’a pas les moyens de faire vivre le livre. La visibilité en librairie, la qualité de la diffusion, la stratégie de communication et la capacité à placer le livre dans les circuits appropriés sont aussi déterminantes. Parfois, un taux plus modeste mais une distribution solide et un accompagnement fort donnent un meilleur rendement à long terme.
La valeur des droits secondaires
La vente des droits étrangers, l’adaptation audiovisuelle ou les versions audio peuvent rapporter des sommes importantes. Ces exploitations sont souvent indépendantes des ventes papier et numérique premières et peuvent transformer la trajectoire financière d’un ouvrage. La manière dont ces revenus sont partagés est donc fondamentale.
Quelques repères synthétiques
Tendances générales
Pour résumer à grands traits et sans exhaustivité : pour le livre papier grand format, des taux autour de 7 % à 12 % du prix public HT sont fréquents ; pour le poche, environ 5 % à 8 % ; pour le numérique, des taux autour de 20 % à 30 % du net perçu par l’éditeur sont courants ; pour l’audio, des pourcentages variables entre 10 % et 20 % selon les cas. Les ventes de droits secondaires se négocient souvent séparément et peuvent être partagées à parts égales entre auteur et éditeur lorsque l’éditeur a négocié la cession.
Ces repères sont des points de départ. Chaque contrat raconte une histoire différente et chaque livre trouve son propre chemin. La clé est de lire attentivement, de demander des précisions écrites et de garder en tête que le chiffre annoncé dans un contrat doit toujours être mis en regard de la base de calcul, des remises, des retours et des coûts engagés pour que l’ouvrage voie le jour et soit lu.
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