Préparer la mise en page : le premier pas qui compte
La mise en page transforme le manuscrit en objet lisible. Avant toute décision graphique, définir le format du livre et le public visé. Un roman intimiste n'a pas la même allure qu'un essai illustré. Le format influence la taille des caractères, la longueur des lignes, le nombre de pages et même le coût d'impression. Penser en amont au type de reliure souhaité, au grammage du papier et aux illustrations éventuelles permet d'éviter des retours coûteux. Le passage du texte brut à la mise en page exige des choix rationnels autant qu'esthétiques : l'équilibre entre le blanc et le texte, la respiration laissée aux yeux, le rythme des chapitres.
Choisir le format
Plusieurs formats courants se dégagent dans l'édition francophone. Le format poche, compact, favorise la portabilité et une langue accessible. Le format demi‑grand, plus généreux, convient aux romans contemporains et aux ouvrages de référence. Les formats carrés ou atypiques s'adaptent aux livres d'art ou de photographie. Il est utile de consulter des gabarits d'éditeur ou d'imprimeur pour connaître les dimensions exactes et les caractéristiques techniques. Penser au format final dès la conception permet d'ajuster la taille de la police et la mise en page sans surprises.
Calculer la tranche et le dos
La largeur du dos dépend du nombre de pages et du grammage du papier. Chaque imprimeur fournit une formule ou un calculateur pour obtenir la mesure précise. Une tranche mal calculée peut entraîner un dos flou, une reliure mal centrée ou un débord de texte sur la couverture. Pour une reliure collée, le collage exige une marge suffisante côté intérieur afin que le texte ne disparaisse pas dans la gouttière. La création de la jaquette exige un gabarit incluant fond perdu (bleed) et marges de sécurité autour des éléments textuels et graphiques.
Typographie : le choix des caractères
La typographie donne au livre son ton. Les caractères avec empattements (sérif) restent la préférence pour le corps de texte d'un livre imprimé, parce qu'ils facilitent le flux de lecture. Des polices comme Garamond, Sabon, Minion ou Caslon demeurent des valeurs sûres. Les caractères sans empattement trouvent leur place pour les titres, les légendes ou les encadrés. La lisibilité doit primer sur l'originalité ; une police trop exotique distrait le lecteur et fatigue la vue.
Taille du corps et interlignage
La taille du corps varie selon le format : une police entre 10 et 12 points est courante pour un format moyen. L'interlignage (leading) doit offrir une respiration suffisante sans diluer le rythme ; un interlignage de 120 à 145 % de la taille de police constitue une base. Une ligne trop serrée gêne la lecture, une ligne trop espacée casse la densité du texte et augmente artificiellement le nombre de pages. Adapter le corps à la longueur moyenne des lignes et à la nature du texte est essentiel : dialogues, vers ou prose dense demandent des ajustements différents.
Longueur de ligne et mesure
La mesure, soit le nombre de caractères par ligne, influe directement sur le confort de lecture. Une ligne idéale contient entre 60 et 75 caractères, espaces compris. Une mesure plus courte donne un rythme rapide et convient aux textes à lecture fragmentée ; une mesure plus longue favorise la lecture immersive mais peut devenir fatigante. Sur un format réduit, il est préférable d'augmenter légèrement la taille de police plutôt que d'avoir une mesure trop courte. L'équilibre se trouve en testant des pages imprimées, car l'écran ne restitue pas toujours fidèlement la perception du papier.
Paragraphes, retraits et alinéas
Dans la tradition éditoriale française, le paragraphe se marque souvent par un retrait de première ligne (alinéa) sans interligne supplémentaire entre paragraphes. Ce choix conserve la continuité du texte et respecte la mise en page classique. Pour les ouvrages contemporains ou les textes non narratifs, la séparation par interligne peut être adoptée mais doit rester cohérente sur l'ensemble du livre. Les dialogues peuvent se présenter avec des retraits ou avec un tiret cadratin au début de chaque réplique, selon la convention retenue. Les règles typographiques du texte courant, comme l'absence d'espace avant une ponctuation simple mais la présence d'une espace insécable avant les deux‑points, doivent être respectées pour une mise en page soignée.
Grilles, gabarits et repères
La grille sert de structure invisible qui guide la composition du texte et des éléments graphiques. Un gabarit de page définit les marges, la position des en‑têtes et pieds de page, la zone de texte et les repères pour les illustrations. L'utilisation de gabarits permet d'assurer une cohérence visuelle tout au long de l'ouvrage, surtout pour les séries ou les collections. Des repères pour le placement des chapitres, des légendes et des notes de bas de page évitent les écarts de traitement entre sections.
Marges et gouttière
Les marges participent à l'esthétique et à la lisibilité : une marge intérieure (gouttière) plus large laisse de l'espace pour la reliure et évite que le texte ne soit perdu dans le pli. La marge extérieure peut être plus généreuse pour permettre au lecteur de poser son pouce sans masquer le texte. Un haut de page un peu plus réduit peut donner une impression de densité contrôlée, tandis qu'un bas de page plus large accueille confortablement le numéro de page ou une note. Le respect d'une marge de sécurité garantit qu'aucun élément important ne sera coupé au massicot.
Pagination, en‑têtes et pieds de page
La pagination obéit à des règles conventionnelles : les chapitres commencent souvent sur une page impaire (recto), les pages de garde et la pagination des premières pages peuvent suivre des conventions distinctes. Les en‑têtes fournissent une lecture visuelle rapide du livre : titre abrégé, nom de l'auteur ou titre de chapitre peuvent y figurer, avec une hiérarchie typographique discrète. Les pieds de page accueillent les numéros de page et parfois des éléments graphiques. Veiller à l'uniformité des polices et à la simplicité : l'en‑tête ne doit pas attirer l'attention au détriment du texte principal.
Gestion des chapitres et des sauts
Le commencement d'un chapitre mérite un traitement particulier. Le placement recto (page de droite) reste l'usage traditionnel pour privilégier le rituel de la lecture. L'espace avant le titre de chapitre, la taille du titre, l'utilisation ou non d'un lettrine (initiale) influencent l'accueil du lecteur. La lettrine crée une entrée visuelle forte mais doit être utilisée avec parcimonie et cohérence. Les sauts de page doivent être gérés par des styles dédiés pour éviter des ruptures inopinées lors des modifications ultérieures du texte.
Contrôler veuves et orphelines
Les veuves (dernière ligne d'un paragraphe isolée en haut de page) et les orphelines (première ligne d'un paragraphe isolée en bas de page) nuisent à l'élégance typographique. Les logiciels de mise en page proposent des options pour éviter ces situations, mais il arrive que des retouches manuelles soient nécessaires. Ajuster l'espacement, modifier marginalement l'interlignage ou recourir à de légères césures sont des solutions. La recherche d'un rendu propre impose parfois de revoir ponctuellement la longueur d'un paragraphe ou la position d'un saut de page.
Illustrations, tableaux et éléments graphiques
Les images demandent une préparation soignée. La résolution doit être adaptée à l'impression : 300 dpi pour les images en pleine page, 150 à 200 dpi pour les petites vignettes selon la technique d'impression. Les images destinées à l'impression doivent être en CMJN si elles sont en couleur. Les illustrations en noir et blanc gagnent à être en niveaux de gris. Les profils colorimétriques fournis par l'imprimeur permettent d'éviter les écarts de teinte entre l'écran et le tirage final.
Positionnement et légendes
Une légende claire et concise accompagne toute illustration. Le positionnement idéal est proche de la référence dans le texte, sans rompre la mise en page. Les légendes doivent être typographiées dans une taille plus petite que le corps du texte, tout en restant lisibles. Pour les images pleine page, prévoir des fonds perdus et un filet de sécurité pour éviter toute information trop proche du massicot. Les documents vectoriels, graphiques ou schémas techniques doivent être fournis dans des formats natifs ou en PDF de haute qualité pour préserver la netteté au tirage.
Couleurs, papier et impression
Le choix du papier influe sur le rendu des couleurs et la sensation tactile du livre. Un papier crème adoucit le contraste et favorise la lecture prolongée ; un papier blanc offre un rendu plus vif des encres et convient aux livres illustrés. Le grammage oscillera selon le type d'ouvrage : un roman peut être imprimé sur un 80 g à 90 g, un ouvrage illustré sur un 120 g et plus. Prendre en compte la transparence pour les volumes de pages élevés afin d'éviter que le texte d'une page ne soit visible sur l'autre face.
Bleed et fonds perdus
Les images et éléments graphiques qui atteignent le bord du format doivent prévoir un fond perdu, généralement de 3 mm en Europe. Ce retrait permet d'assurer un résultat net après la coupe. Les textes et éléments importants doivent rester à l'intérieur d'une zone de sécurité supplémentaire pour éviter qu'ils ne soient tronqués. Un gabarit de couverture avec fonds perdus et traits de coupe est un document de travail indispensable pour la création de la jaquette.
Format numérique et export
Les fichiers destinés à l'impression doivent être exportés dans un format sécurisé et lisible par l'imprimeur. Le format PDF/X‑1a ou PDF/X‑4 reste un standard industrialisé, garantissant l'incorporation des polices et la conformité des couleurs. Intégrer toutes les images à la résolution requise, vérifier les transparences et aplatisser les calques problématiques si nécessaire. Le nommage des fichiers et l'ajout d'une version datée évitent toute confusion lors des échanges avec l'imprimeur.
Vérifications techniques avant export
Un contrôle préalable évite bien des déconvenues. Vérifier l'incorporation des polices, s'assurer qu'aucun texte n'est en mode surimpression non voulu, contrôler les césures et l'absence d'espaces insécables mal placées. Passer un coup d'œil sur la colorimétrie des images, s'assurer que les éléments en couleurs sont convertis en CMJN pour l'impression offset, ou en RVB adapté pour des tirages numériques si l'imprimeur le recommande. Enfin, générer un fichier PDF avec traits de coupe, fonds perdus et repères de pli si nécessaire.
La couverture : vitrine du livre
La couverture est l'élément qui attire le regard dans une vitrine ou une page web. Elle doit concilier lisibilité, rythme visuel et respect des contraintes techniques. Le traitement du titre, du nom de l'auteur, du pitch au dos et de la quatrième de couverture exige une hiérarchie typographique claire. La tranche, visible en rayon, doit comporter le titre et le nom de l'auteur, bien centrés selon la largeur calculée. Le dos accueille rarement d'autres éléments, à part éventuellement un petit logo d'éditeur ou l'ISBN.
Format, vernis et finitions
Le choix des finitions transforme la couverture : vernis mat ou brillant, pelliculage, estampage à chaud, vernis sélectif. Chaque finition influe sur le coût mais aussi sur la durabilité et l'esthétique. Un pelliculage mat donne une sensation raffinée et résiste mieux aux traces de doigts, tandis qu'un vernis brillant accentue la couleur et le contraste. Les encres spéciales et les vernis partiels nécessitent des fichiers séparés (vernis en aplat ou en couche spéciale) et une discussion préalable avec l'imprimeur.
Reliure et finitions
Le choix de la reliure dépend du format, du nombre de pages et du positionnement éditorial. La reliure collée (perfect binding) est largement utilisée pour les romans et les ouvrages de poche. La reliure cousue permet une plus grande durabilité et une ouverture plus franche ; elle est recommandée pour des ouvrages plus épais ou destinés à durer. Les livres cartonnés et reliés de type "reliure cousue" ou "reliure à collée couture" demandent des spécifications supplémentaires et un coût supérieur, mais offrent une meilleure longévité et une présentation soignée.
Contrôle qualité et épreuves
Le passage à l'impression commence souvent par une épreuve numérique ou un BAT (Bon À Tirer) papier. L'épreuve permet de vérifier les couleurs, la mise en page, la pagination, la lisibilité et la conformité des images. Sur l'épreuve, vérifier la présence d'erreurs typographiques, la cohérence des styles, le positionnement des illustrations et la qualité des couleurs. Les corrections demandées après validation du BAT sont généralement facturées, d'où l'importance d'une vérification attentive et méthodique en amont.
Lecture à voix haute et épreuve papier
Une lecture sur papier, feuille à feuille, révèle des problèmes invisibles à l'écran : coupures mal placées, fautes oubliées, phrases qui tombent malencontreusement en fin de page. Lire à voix haute permet de retrouver le rythme des phrases et d'identifier des répétitions ou des lourdeurs. Une épreuve papier rend aussi justice au rendu typographique final : contrastes, blancs, césures et sensations de lecture se vérifient mieux sur matériau réel que sur écran.
Métadonnées, ISBN et dépôt légal
Avant la mise en vente, penser aux éléments bibliographiques indispensables. L'ISBN identifie l'ouvrage et facilite sa distribution. Le code-barres EAN nécessaire pour la vente en magasin se génère à partir de l'ISBN et doit être placé sur la quatrième de couverture selon un emplacement sûr. En France, le dépôt légal auprès de la Bibliothèque nationale est une formalité réglementaire à ne pas négliger et doit être accompli dans les délais définis. Ces éléments administratifs sont aussi partie intégrante du travail de mise en page, qui doit prévoir les espaces nécessaires pour les mentions légales et la page de crédits.
Organisation du travail et bonnes pratiques
L'établissement d'une feuille de style ou d'un guide interne permet de sauvegarder la cohérence typographique : choix des polices, hiérarchie titraille, règles pour les lettrines, conventions pour les légendes et notes, traitement des italiques et des emphases, règles pour les dialogues. Garder un gabarit maître et des styles prédéfinis facilite les révisions et les mises à jour. Sauvegarder les versions et nommer les fichiers clairement évite les confusions au moment de l'envoi à l'imprimeur. Un calendrier tenant compte des délais d'impression et des marges pour corrections réduit le stress de la phase finale.
Collaboration avec l'imprimeur
La communication avec l'imprimeur est centrale. Fournir des fichiers conformes aux spécifications techniques simplifie la production. Demander un BAT papier pour valider les choix de papier et de finition permet d'éviter les erreurs définitives. Les imprimeurs peuvent proposer des solutions techniques, des profils colorimétriques et des conseils adaptés selon la machine utilisée (numérique, offset, rotative). Connaître les étapes et les contraintes de fabrication aide à anticiper les ajustements nécessaires en phase de mise en page.
Astuces pratiques et pièges à éviter
Éviter de travailler uniquement sur écran pour évaluer la pagination. Toujours imprimer des pages tests pour juger de l'équilibre typographique. Ne pas abuser des polices différentes au risque de fragmenter l'identité visuelle du livre. Préférer des modifications via styles plutôt que des retouches manuelles répétées afin de garder une mise en page modifiable. Vérifier la présence d'espaces insécables aux endroits sensibles (nombres, guillemets, ponctuation double) pour garantir une mise en page propre. Enfin, prévoir toujours une marge de sécurité temporelle avant l'envoi en fabrication pour gérer d'éventuelles corrections.
Notes sur l'accessibilité et la lecture
La lisibilité bénéficie d'un contraste suffisant entre texte et fond, d'une taille de police adaptée et d'un interlignage généreux pour les lecteurs ayant de petites difficultés visuelles. Penser aux lecteurs qui consultent la version imprimée après une lecture numérique : les marges doivent permettre une prise en main confortable et la pagination doit suivre une logique intuitive. Pour les ouvrages destinés à un public large, privilégier une typographie simple, éviter les fonds texturés derrière le texte et s'assurer que les éléments graphiques ne gênent pas la lecture.
Un livre bien mis en page ne se remarque pas ; il se lit. Chaque décision, de la taille du caractère à la largeur du dos, participe à une expérience de lecture fluide et respectueuse du texte. La mise en page est un art discret, façonné par des règles et des essais, par la rigueur technique et la recherche d'un rythme. Le travail méticuleux sur les gabarits, les styles et les épreuves construit peu à peu l'armature sur laquelle pourra se poser la voix de l'auteur.
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