Comment éviter les clichés dans l'écriture d'un livre
Le cliché rôde partout. Il s'invite dans les dialogues, s'installe dans les descriptions et finit parfois par gouverner l'intrigue. Pour de nombreux lecteurs, il sonne comme une facilité, une zone de confort que l'auteur a choisie plutôt que de mériter. Pourtant, le cliché n'est pas toujours le signe d'un manque de talent : il peut apparaître par habitude, par peur du jugement, ou parce que certaines images et tournures semblent rassurantes et efficaces. Le défi consiste à reconnaître ces automatismes et à les remplacer par des choix vrais et singuliers sans perdre de vue la clarté et l'énergie du récit.
Qu'est-ce qu'un cliché et pourquoi il paraît si séduisant
Le cliché est une formule, une image ou une situation qui a été répétée tellement de fois qu'elle a perdu sa force première. Il fonctionne comme un raccourci de sens : en quelques mots, il évoque une atmosphère, un caractère, une émotion. Cette efficacité apparente explique sa séduction. Pour un écrivain pressé, qui travaille contre la page blanche et le temps, le cliché promet une économie d'effort. Pour un lecteur, il offre une reconnaissance immédiate.
Mais cette reconnaissance peut devenir un piège. Quand une métaphore a été lue des centaines de fois, elle devient transparente, neutre, voire irritante. Les clichés affaiblissent la singularité d'une voix et risquent d'éloigner le lecteur d'une expérience véritablement neuve. L'objectif, donc, n'est pas d'éviter toute familiarité — la langue familière ou consensuelle a sa place — mais d'empêcher la langue de devenir mécanique, d'empêcher la scène de tourner en pilotage automatique.
Identifier les clichés dans son texte
Repérer un cliché nécessite un regard attentif et parfois un peu de distance. Il existe quelques signaux d'alarme faciles à reconnaître. Les images trop nettes, celles qui ont la réputation d'être « belles » parce qu'elles circulent depuis longtemps, méritent suspicion. Les phrases qui semblent écrites pour plaire à tout le monde plutôt que pour étonner un lecteur particulier sont souvent des clichés déguisés. De même, les personnages qui se comportent conformément à des archétypes sans relief, les dialogues qui sonnent comme des répliques de cinéma et les solutions d'intrigue trop commodes indiquent qu'une écriture fait appel à des modèles surbandés.
La relecture à voix haute aide beaucoup. Quand une phrase ronronne, qu'elle glisse sans surprendre, il y a de bonnes chances qu'elle soit déjà lue ailleurs. Les retours des lecteurs ou d'un groupe d'atelier permettent aussi de mettre au jour des passages qui se répètent, des attitudes attendues, des émotions préemballées. Plus le texte est lu, plus la capacité à détecter le cliché s'affine.
Exemples simples pour savoir reconnaître
Une description qui compare systématiquement le regard d'un personnage au « feu » ou à « l'océan » est souvent paresseuse. Un adverbe collé au verbe pour renforcer l'émotion — « il regarde tristement » — signale parfois un manque d'imagination quand la tristesse pourrait s'exprimer par un geste, un silence, une action. Un retournement d'intrigue fondé sur la maladie devenue subitement miraculeusement guérissable est un ressort usé. Ces exemples n'avilissent pas la bonne idée en soi, mais ils invitent à interroger la nature et la source de la formule.
Pourquoi le cliché affaiblit la narration
Le cliché enlève à la narration son pouvoir d'étonnement. Le lecteur veut être emmené, surpris, remis en question. Lorsqu'une image ou une situation est déjà connue, elle n'offre plus le frisson de la découverte. Elle peut même provoquer un détachement : le lecteur reconnaît le mécanisme et s'en retire mentalement. De plus, le recours excessif aux clichés peut aplatir les personnages, transformer la tension dramatique en un enchaînement de stéréotypes, et rendre l'univers du roman prévisible.
Sur le plan stylistique, le cliché consomme souvent de la place sans ajouter d'énergie. Il jongle avec des surfaces — des lieux communs, des formules convenues — au détriment de la profondeur. Pour une oeuvre littéraire ou populaire, la profondeur ne revient pas forcément à un style alambiqué, mais à une authenticité de perception et à une précision dans le choix des détails.
Réécrire pour remplacer le cliché par la singularité
La réécriture est l'arme la plus fiable contre le cliché. Elle transforme les premières solutions instinctives en choix réfléchis. Trois buts principaux guident une réécriture efficace : préciser, réduire, surprendre. Préciser, c'est choisir le détail juste qui rend une scène unique. Réduire, c'est supprimer les compléments inutiles qui alourdissent et rendent la phrase générique. Surprendre, c'est chercher une image ou un comportement qui détourne les attentes sans trahir la cohérence du texte.
Préciser : la magie du concret
Les détails concrets fonctionnent mieux que les images vagues. Là où un cliché propose « la ville qui ne dort jamais », une précision choisie — « les lampadaires qui grésillent comme des insectes », « la vitrine d'une boutique de réparation de phonographes » — ancre la scène, rend le lieu habitable et donne au lecteur un point d'appui pour l'imagination. La précision ne doit pas devenir encyclopédique : elle sélectionne l'élément qui porte la charge émotionnelle ou symbolique de la scène.
Dans les dialogues, remplacer des formules toutes faites par des traits de caractère et des tics personnels aide à sortir du cliché. Un personnage n'a pas besoin de dire « je suis désolé » à chaque faute ; parfois un silence, un geste, ou une phrase maladroite peuvent mieux révéler la culpabilité. La seule contrainte est la cohérence : la précision choisie doit être fidèle au personnage et à son histoire.
Réduire : l'économie des mots
Moins peut être plus. Les phrases resserrées et les formulations qui évitent les dépôts d'adverbes et d'adjectifs systématiques donnent plus de place à l'imprévu. Les adverbes qui « intensifient » un verbe peuvent masquer une faiblesse. À la place, sélectionner un verbe plus fort et laisser la situation parler produit un effet plus net. Par exemple, remplacer « il parle doucement » par « il chuchote » ou « il occasionne une boucle » par « il circule dans le couloir » offre au texte un rythme plus assuré.
Supprimer les redondances est une étape de réécriture indispensable. Beaucoup de clichés tiennent debout parce qu'ils sont doublés d'une explication. Les images qui se répètent, les explications qui accompagnent les émotions, les paraphrases évitables : tout cela amoindrit la charge dramatique. L'économie impose de faire confiance au lecteur pour combler les vides.
Surprendre : détourner l'attente
Détourner une attente crée de l'intérêt. Cela ne veut pas dire surprendre pour surprendre, mais prendre l'habitude d'interroger les routes évidentes de l'intrigue et du style. Un retournement subtil dans la manière d'aborder une situation familière peut suffire : un héros qui échoue non pas par faiblesse mais parce qu'il refuse un compromis moral, une déclaration d'amour qui échoue parce qu'elle a été trop prévisible, une tempête qui révèle des objets intimes plutôt qu'un danger dramatique.
Surprendre, c'est aussi jouer avec la langue : une métaphore inattendue, un verbe faux mais parlant, une juxtaposition étrange qui ouvre une perspective neuve. L'audace lexicale, quand elle reste maîtrisée, a plus d'impact que l'enfilade de clichés rassurants.
Techniques d'écriture au service de l'originalité
Plusieurs techniques permettent d'éloigner l'écriture des sentiers battus. Certaines travaillent la matière de la phrase, d'autres s'attachent à la construction du récit ou à la caractérisation des personnages. Toutes invitent à cultiver une attention permanente à la langue et à l'expérience racontée.
Choisir des verbes forts et précis
Le verbe est souvent le moteur de la phrase. Choisir un verbe précis évite le recours à l'adverbe. Plutôt que « elle marche lentement », préférer « elle traîne », « elle titube », « elle s'avance » selon la nuance à donner. Cette économie permet de gagner en expressivité et d'éviter la monotonie que créent les combinaisons attendues.
Faire parler les sens
Les sensations offrent des issues directes à l'imagerie banale. Plutôt que dire « il était beau », décrire ce qui se perçoit : la façon dont la lumière frappe son visage, l'odeur du blouson, un geste précis. Les images sensorielles rendent les scènes palpables et empêchent les jugements généraux de s'installer. Elles invitent aussi à une subjectivité moins normative, plus singulière.
Donner de l'épaisseur aux personnages
Un personnage tridimensionnel échappe plus facilement aux clichés. Cela suppose de lui donner des contradictions, des habitudes qui ne servent pas seulement l'intrigue mais la rendent vivante, des désirs imprécis, des hontes banales. Quand un personnage agit contre une attente, il devient intéressant. L'important n'est pas de multiplier les bizarreries, mais d'installer des petites strates d'être : un détail d'enfance, une opinion surprenante, une faiblesse physique ou morale montrée plutôt qu'énoncée.
Soigner les dialogues
Les dialogues sont des pièges à clichés : « Tu me manques », « C'était inévitable », « On est faits l'un pour l'autre »… Pour éviter ces formules, écouter le langage réel aide : la façon dont les gens hésitent, tournent autour du sujet, mentent, se contredisent. Dans un dialogue réussi, les non-dits sont aussi importants que les répliques. Un personnage peut mentir en détaillant un souvenir sans importance, ou se contradire par empressement. Les interruptions, les répétitions, les silences bien placés donnent au dialogue une texture qui le protège des platitudes.
Utiliser la structure du récit pour surprendre
La manière d'organiser un texte influence le recours aux clichés. Une narration fragmentée, des points de vue qui alternent, ou une chronologie décalée obligent à reconstruire le sens et empêchent les solutions faciles. Jouer avec la voix narratrice — passer d'un narrateur omniscient à un regard limité, par exemple — peut révéler des aspects du monde romanesque qui désamorcent les figures toutes faites.
Subtilité des métaphores et images
Les métaphores survivent quand elles dérangent et meurent quand elles rassurent. Lancer une image neuve implique parfois de combiner deux domaines qui ne vont pas ensemble ou d'utiliser un détail domestique pour éclairer un sentiment grand. L'originalité se trouve souvent dans l'association inédite plutôt que dans la radicalité. Une métaphore forçant l'attention du lecteur fragilise le cliché.
Pratiques concrètes pour travailler la singularité
La routine et l'habitude forment le terrain propice au cliché. Il existe des exercices simples pour muscler la capacité à inventer. Ces pratiques permettent d'entraîner l'œil, l'oreille et la langue à s'écarter des solutions automatiques.
Choisir un mot et l'explorer
Prendre un mot simple — « table », « pluie », « main » — et écrire une page où ce mot apparaît dans des contextes singuliers conduit à développer l'imagination. Ce type d'exercice oblige à chercher des usages concrets et surprenants et à fuir les images toutes faites. Il favorise la découverte d'analogies inédites et affine la précision du regard.
Récrire une scène banale
Prendre une scène archétypale — une rupture, une rencontre, une dispute — et la réécrire en changeant le point de vue, l'époque, le ton, ou l'objet focal. Ces variations révèlent souvent des chemins inexplorés. L'exercice permet aussi de tester la cohérence des personnages : une scène fonctionne-t-elle si elle est racontée du point de vue d'un serviteur, d'un enfant, d'un voisin ?
Limiter le vocabulaire
Écrire une page sans utiliser certains mots jugés trop faciles oblige à creuser d'autres ressources. L'interdiction temporaire de mots comme « beau », « terrible », « énorme » provoque la recherche d'images opérantes et la mise en place d'une écriture plus précise. Cette contrainte favorise la créativité plutôt que de la restreindre.
Lecture ciblée
Lire en analysant, plutôt qu'en consommant, aide à comprendre comment des auteurs évitent le cliché. Observer une page et se demander pourquoi une image fonctionne, comment une phrase est ciselée, comment un dialogue maintient la tension : autant de questions qui nourrissent la pratique. Explorer des textes distants — poèmes, nouvelles, essais — ouvre des voies qu'un seul genre tend à fermer.
Le rôle de l'atelier et des retours
La distance critique se cultive. L'avis d'un lecteur extérieur, d'un éditeur, ou d'un groupe d'atelier met en lumière des tics invisibles à l'auteur. Ces lectures permettent d'entendre les passages qui heurtent, ceux qui se répètent, ceux qui semblent « écrits pour plaire ». Les retours doivent être choisis et interprétés : tous les conseils ne sont pas forcément adaptés au projet, mais ils offrent des perspectives précieuses.
Demander des retours ciblés
Il est efficace d'orienter les lecteurs : demander s'il y a des images déjà lues, des personnages qui paraissent stéréotypés, des passages où l'intérêt baisse. Ce type de consigne permet de récolter des remontées utiles. L'important est d'accepter la critique sans en perdre le sens : certaines remarques pointent un cliché, d'autres touchent à la direction artistique du texte.
Relire après un temps de pause
La mise à distance est une alliée précieuse. Un texte relu après plusieurs semaines révèle des répétitions, des formules fatiguées et des habitudes de langue. Ce laps de temps facilite aussi la reconnaissance des images qui semblent venir du fond de la mémoire plutôt que du présent de l'écriture.
Bonnes habitudes pour garder la langue vive
La singularité se maintient par une série d'habitudes plus que par des révélations ponctuelles. Certaines pratiques simples, intégrées au quotidien d'écriture, limitent la tentation des chemins faciles.
Lire pour nourrir le langage
Une lecture régulière et diverse enrichit le répertoire stylistique et offre des modèles contraires aux clichés dominants. La littérature étrangère, les formes brèves, la poésie, les journaux, tout est fertilisant quand il s'agit d'éviter l'enfermement des tours connus. La lecture doit être curieuse et exigeante : s'inspirer n'est pas imiter.
Écrire régulièrement
La pratique régulière resserre l'outil : plus l'écriture devient un geste familier, moins elle recourt aux formules de surface. L'habitude n'est pas l'ennemie : bien orientée, elle permet d'expérimenter sans la pression du résultat et d'accumuler des tentatives qui, cumulées, engendrent l'originalité.
Accueillir l'erreur
Les échecs stylistiques sont pédagogiques. Une phrase qui tombe à plat aide à mieux comprendre ses propres automatismes. L'important est de ne pas s'attarder sur la honte de l'erreur mais d'en extraire une leçon : quelle image est devenue banale ? Pourquoi ce tour revient-il ? Ce travail d'introspection aide à construire une langue authentique.
Attention aux tendances et aux modes
Les tendances littéraires peuvent aider ou enfermer. Une mode de style ou de narration attire parce qu'elle paraîtra actuelle, mais elle risque de se fossiliser en cliché plus rapidement. Lire les tendances sans s'enfermer, les utiliser comme matériau plutôt que comme guide suprême, permet de s'inspirer sans subir. La singularité s'alimente de l'époque sans s'y confondre entièrement.
Quand le cliché sert un propos
Il existe des moments où le recours au cliché est intentionnel et utile. Une image banale, placée délibérément, peut fonctionner comme une référence culturelle, une ironie ou un marqueur narratif. Dans ces cas, le cliché n'est pas une faiblesse, mais un outil conscient. L'essentiel est la maîtrise : si la formule sert le propos, elle doit être assumée plutôt qu'installée par manque d'alternative.
Éviter l'usage passif
Utiliser un cliché consciemment suppose d'en comprendre la portée et d'en connaître le coût. Quand la formule reprend à son compte une vision commune, il faut savoir pourquoi elle est utilisée et ce qu'elle produit sur le lecteur. L'utilisation passive, mécanique, est souvent la cause de la platitude. Le choix politique d'utiliser une image connue peut transformer un cliché en geste littéraire.
Lire pour le lecteur : la clarté avant tout
Éviter les clichés ne signifie pas se lancer dans l'obscurité stylistique. La clarté demeure une exigence première. La précision doit servir l'intelligibilité et l'émotion, pas l'esbroufe. Les images nouvelles doivent éclairer plutôt que noyer. Loin d'être des règles formelles, ces exigences relient l'écriture à son destinataire : le lecteur qui veut être surpris sans être perdu, qui veut sentir les personnages comme vivants sans subir des figures convenues.
La pratique régulière, l'attention au détail, la capacité à accepter des retours et la volonté de réécrire longuement constituent la voie la plus sûre pour réduire la fréquence des clichés. Ainsi, au fil des manuscrits, la langue se fait plus personnelle et l'univers romanesque gagne en puissance. Les phrases deviennent des choix, et non des automatismes.
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