Pourquoi la diversité et l'inclusion comptent en littérature
La littérature raconte des vies, tisse des mondes et transmet des relations sensibles entre les êtres et les idées. Lorsqu'elle reflète la pluralité des existences, elle enrichit la manière dont la société se comprend elle-même. La diversité n'est pas seulement une question d'identités visibles ; elle concerne aussi les voix, les langages, les mémoires, les imaginaires et les modalités d'accès aux textes. L'inclusion, quant à elle, se préoccupe de la manière dont ces voix sont accueillies, promues et soutenues tout au long de la chaîne du livre, de l'écriture à la lecture.
Les enjeux sont multiples. La représentation permet à des lecteurs de se voir reflétés, de trouver des modèles et des récits qui confirment leur humanité. Elle enrichit aussi le lecteur qui n'est pas issu de ces mêmes parcours : la littérature devient alors un lieu d'empathie, de découverte et de révision des préjugés. Enfin, au-delà du symbolique, il existe des dimensions économiques et institutionnelles : qui publie, qui reçoit des avances, qui est traduit, qui est mis en vitrine, autant de décisions qui façonnent le champ littéraire.
Clarifier les notions : diversité, inclusion, intersectionnalité
Ce que recouvrent les termes
La diversité renvoie à la coexistence d'identités variées : origine, genre, orientation sexuelle, poids socio-économique, religion, âge, handicap, langue, culture, etc. L'inclusion désigne les pratiques qui rendent la diversité visible et équitablement traitée : politiques éditoriales, visibilité en librairie, rémunération, accessibilité et respect des droits culturels.
Intersectionnalité et complexité des identités
Les personnes ne se réduisent pas à une seule catégorie. L'intersectionnalité rappelle que les identités se croisent et que leurs effets ne s'additionnent pas simplement. Une même narration peut ignorer cette complexité en proposant des personnages plats ou des récits qui essentialisent. La littérature inclusive cherche à reconnaître ces croisements et à représenter des vies troublées, contradictoires, nuancées.
Appropriation culturelle et tokenisme
L'appropriation culturelle survient lorsque des éléments d'une culture sont empruntés sans respect ni compréhension du contexte, souvent pour servir des fins esthétiques ou commerciales. Le tokenisme, ou la présence symbolique, consiste à insérer une voix « diverse » de façon ponctuelle pour donner l'illusion d'une ouverture sans modifier les structures. Les pratiques véritablement inclusives visent à dépasser ces écueils.
Pour l'écrivain : écrire avec attention et responsabilité
Choisir ses sujets et explorer au-delà du confort
Écrire sur des vies différentes de la sienne est légitime, mais demande humilité et travail. Avant d'aborder une trajectoire étrangère, vérifier les raisons de ce choix, s'informer précisément et multiplier les rencontres. La démarche ne doit pas seulement servir à enrichir une intrigue, mais à respecter l'épaisseur humaine des sujets abordés.
Rechercher, écouter et confronter
La recherche peut prendre la forme d'entretiens, de lectures croisées, d'observation et de fréquentation d'œuvres produites par les personnes concernées. Les témoignages directs apportent une densité souvent absente des reconstitutions superficielles. Recueillir, confronter et intégrer ces matériaux permet d'éviter les clichés et d'ouvrir la fiction à des réalités moins visibles.
Travailler les personnages : complexité plutôt que stéréotype
Les personnages doivent exister en tant qu'êtres complets, avec désirs, contradictions et histoire propre. La diversité ne se réduit pas à un trait identitaire qui définit tout un être. L'écriture inclusive va au-delà de la représentation obvie : elle crée des personnages dont l'identité fait partie du tissu narratif sans l'absorber entièrement.
Utiliser des sensibilités externes : lecteurs sensibles et consultants
Faire appel à des lecteurs sensibles ou à des consultants issus des communautés représentées est une pratique précieuse. Leur lecture prépubliée signale les maladresses, les effacements et les erreurs factuelles. Il s'agit d'une collaboration respectueuse, à reconduire avec une reconnaissance claire du travail fourni, idéalement rémunérée.
Langage et forme : penser l'inclusion dès la phrase
Le langage porte des invisibilités. Choisir des pronoms, des appellations et des tournures qui ne marginalisent pas est une forme de soin littéraire. À côté de cela, laisser des espaces de pluralité linguistique, introduire des mots d'autres langues sans exoticisme et conserver des accents authentiques contribuent à une écriture riche. Les notes explicatives ou les choix typographiques peuvent aider à rendre ces éléments accessibles sans les effacer.
Pour l'éditeur : politiques et pratiques concrètes
Sélectionner et accompagner équitablement
Les maisons d'édition jouent un rôle central. Mettre en place des politiques de lecture inclusive, diversifier les comités de lecture et instaurer des quotas de projets destinés à des auteur·e·s rarement publié·e·s sont des mesures concrètes. L'accompagnement doit inclure un soutien éditorial adapté, des avances justes et des stratégies de commercialisation adaptées aux publics visés.
Rémunération, droits et reconnaissance
La rémunération est une question d'équité. Offrir des avances décentes, garantir des droits de traduction et veiller à une rémunération équitable des collaborateurs culturels (traducteurs, relecteurs sensibles, chercheur·euse·s) participe à une économie du livre plus juste. Les contrats peuvent prévoir des clauses favorisant la visibilité et le respect des usages culturels spécifiques.
Visibilité : couverture, positionnement et métadonnées
La manière dont un livre est présenté influence sa réception. Les couvertures doivent éviter l'exotisation et la caricature. Positionner un ouvrage dans une catégorie thématique appropriée et enrichir les métadonnées (mots-clés, descriptions) facilite sa découverte par des lectorats variés. Ces choix techniques sont parfois décisifs pour la circulation d'une œuvre.
Accessibilité des formats
Proposer des formats accessibles à tous (livres audio, braille, gros caractères, e-books compatibles lecteurs d'écran) augmente l'inclusivité. Penser l'accessibilité dès la conception du livre, plutôt que comme un ajout tardif, réduit les barrières pour les lecteurs en situation de handicap. Travailler avec des spécialistes de l'accessibilité et prévoir un budget pour ces conversions sont des étapes pragmatiques.
Culture interne : diversité dans les équipes
La diversité éditoriale passe par la diversité des équipes. Recruter, former et promouvoir des collaborateur·rice·s issu·e·s de parcours variés enrichit la capacité de l'éditeur à repérer des voix différentes et à comprendre des marchés nouveaux. Des programmes de mentorat et de formation internes permettent de soutenir cette évolution.
Libraires et bibliothécaires : lieux de rencontre et de visibilité
Sélections et dispositifs de mise en valeur
La vitrine, l'étagère thématique, l'animation en librairie ou en bibliothèque orientent la découverte. Créer des présentations dédiées, proposer des parcours de lecture multiples et mettre en avant des collections et des auteur·rice·s moins connus favorisent l'ouverture. La relation directe avec le public offre aussi la possibilité d'ajuster les choix selon les besoins des communautés locales.
Événements inclusifs
Inviter des auteur·rice·s représentant diverses expériences, organiser des rencontres accessibles et prévoir des formats variés (lectures, ateliers, tables rondes, rencontres intergénérationnelles) permettent de toucher des publics différents. Penser l'accessibilité matérielle et linguistique (salle accessible, horaires adaptés, interprétation en langue des signes) est essentiel.
Partenariats locaux
Collaborer avec associations communautaires, centres culturels, établissements scolaires et structures sociales crée des passerelles efficaces. Des actions communes peuvent faciliter la circulation des livres, la mise en place d'ateliers d'écriture et la distribution de livres dans des milieux éloignés du marché traditionnel.
Lecteurs, critiques et médias : amplifier sans instrumentaliser
Lire en conscience et diversifier ses lectures
La responsabilité du lecteur n'est pas moins grande. Choisir des lectures qui sortent de ses habitudes, accompagner ces lectures d'une attention critique et chercher à comprendre des contextes différents enrichit la conversation littéraire. Les clubs de lecture et les discussions collectives peuvent être des lieux d'apprentissage mutuel.
Écrire des critiques respectueuses et informées
Les critiques et médiateurs culturels ont un poids important. Fournir des comptes rendus qui tiennent compte de la singularité des parcours représentés, éviter les jugements de valeur stéréotypés et signaler les forces et les limites d'une œuvre sans réduire l'auteur·rice à son identité sont des postures souhaitables. Les médias peuvent aussi réserver des espaces de parole aux voix minorées.
Organiser des événements : créer des espaces sûrs et accessibles
Charte, code de conduite et sécurité
L'accueil du public passe par des règles claires. Adopter un code de conduite, former les équipes d'accueil et prévoir des procédures en cas d'incident crée un environnement sûr. La transparence sur ces règles et leur affichage contribuent à la confiance des participant·e·s.
Honoraires et reconnaissance
Inviter des auteur·rice·s et leur offrir des compensations financières justes, couvrir les frais de déplacement et prévoir des conditions d'accueil dignes montre le respect du travail intellectuel. Cela évite d'invisibiliser des voix qui n'ont pas les mêmes ressources pour se déplacer ou participer.
Formats hybrides et temporalité
Proposer des formats en présentiel et à distance permet d'atteindre des publics différents. Enregistrer les rencontres, offrir des retranscriptions et assurer l'interprétation sont des pratiques qui augmentent l'accessibilité et prolongent la vie des événements au-delà de la date.
Traducteurs et traductions : traverser les langues avec soin
Fidélité, adaptation et voix
La traduction transforme les textes et les rend disponibles à d'autres publics. Les traducteurs doivent naviguer entre fidélité au texte source et intelligibilité dans la langue d'arrivée. Respecter les spécificités culturelles, préserver les registres et travailler avec l'auteur·rice lorsque c'est possible garantissent une transmission sensible.
Traduire la diversité
Choisir de traduire des œuvres issues de langues et de cultures sous-représentées est une manière directe d'enrichir le paysage littéraire d'un marché. Les maisons d'édition peuvent soutenir ces traductions par des subventions et des campagnes de diffusion ciblées, afin d'éviter que le coût de la traduction ne reste un frein.
Institutions, prix et festivals : structures de légitimation
Critères de sélection et composition des jurys
Les prix et festivals influencent la carrière des auteur·rice·s. Réfléchir aux critères de sélection, déplacer les regards et composer des jurys diversifiés permettent de reconnaître des œuvres hors des sentiers battus. Des catégories dédiées à la diversité peuvent exister, mais la présence d'œuvres diverses dans les sections principales est tout aussi importante.
Soutiens financiers et bourses
Mettre en place des bourses et des résidences destinées à des projet·s peu financés favorise l'émergence de nouvelles voix. Les dispositifs doivent être conçus de façon à réduire les barrières administratives et à respecter la singularité des projets soumis.
Ressources pratiques et outils
Lecteurs sensibles, guides et formations
Les ingénieries invisibles — modèles de contrat plus justes, banques de lecteurs sensibles, guides de style inclusifs — sont des ressources précieuses. Des formations pour les équipes éditoriales, les libraires et les médiateurs aident à intégrer de bonnes pratiques et à éviter les faux pas involontaires.
Accessibilité technique et normes
Penser aux formats alternatifs demande des compétences techniques. Produire des fichiers conformes aux standards d'accessibilité, indiquer des descriptions d'images, fournir des métadonnées détaillées facilitent la lecture pour des publics différents. Des partenariats avec des organismes spécialisés permettent d'optimiser ces processus.
Financement et subvention
Rechercher des subventions, des partenariats publics ou privés, ou des mécénats ciblés peut aider à financer des projets inclusifs. Les initiatives communautaires ou coopératives, où les lecteurs participent à la production, constituent aussi des modèles alternatifs pour soutenir la diversité.
Écueils et comportements à éviter
Le sauvetage et la paternité bienveillante
L'amplification d'une voix ne doit pas se transformer en paternalisme. Éviter de se positionner systématiquement comme « sauveur » ou unique médiateur d'une communauté permet d'ouvrir des espaces de parole autonomes. Il est nécessaire de laisser la place à la parole interne et de donner les moyens à ces voix de se structurer indépendamment.
La simplification et l'effacement
Réduire une identité à un trait saillant, gommer les contradictions pour rendre un récit plus « acceptable », ou encore éditer des éléments culturels jusqu'à les rendre anonymes appauvrit la littérature. La complexité mérite d'être préservée même si elle challenge la sensibilité du lectorat majoritaire.
Exploitation des ressources communautaires
L'utilisation des savoirs et des traditions sans réciprocité est problématique. Si une communauté apporte des connaissances ou des témoignages, elle doit en voir la reconnaissance et la compensation. Les collaborations doivent être fondées sur des échanges équitables, non sur l'extraction.
Mesurer la progression : indicateurs et retours
Indicateurs qualitatifs et quantitatifs
Suivre la diversité passe par des données de terrain : nombre d'auteurs publiés issus de groupes sous-représentés, part de traductions, budget alloué aux projets inclusifs, formats accessibles produits, présence dans les vitrines. Mais les indicateurs qualitatifs, comme les retours des lecteurs et des communautés, sont tout aussi essentiels pour évaluer la pertinence des démarches.
Écouter les retours et ajuster
Les retours du public, des associations et des professionnel·le·s donnent des orientations. Maintenir des canaux de dialogue et accepter la critique font partie d'un processus vivant. Il est souvent nécessaire d'ajuster les pratiques, d'apprendre et de reconnaître les erreurs pour avancer.
Perspectives éditoriales : créer des espaces durables
Structurer des collections et des labels
Créer des collections dédiées ou des labels spécifiques peut aider à donner de la visibilité, mais il est également important que la diversité infuse l'ensemble du catalogue, sans être confinée. Une stratégie durable combine projets ciblés et intégration transversale.
Long terme et tissage de réseaux
Construire une scène littéraire inclusive demande du temps et des relations. Les partenariats entre maisons d'édition, librairies, bibliothèques, associations et institutions culturelles créent un écosystème plus résilient. La continuité des actions, plus que l'initiative ponctuelle, transforme les habitudes et les structures.
Approches communautaires et nouvelles formes
Autoédition, coopératives et micro-maisons
Des formes alternatives de publication permettent parfois d'échapper aux filtres traditionnels. L'autoédition, les coopératives d'auteur·rice·s, les micro-maisons et les revues communautaires favorisent la circulation de voix marginales. Ces dispositifs reposent souvent sur la mobilisation locale et la solidarité entre créateurs.
Éducation et médiation
Inscrire la diversité dans les programmes scolaires et les actions de médiation culturelle contribue à former des lecteurs réflexifs. Les ateliers d'écriture, projets intergénérationnels et lectures publiques offrent des terrains d'apprentissage où la pluralité devient pratique quotidienne.
Responsabilités partagées : qui peut agir ?
Toutes les personnes impliquées dans la chaîne du livre ont un rôle à jouer. Les écrivains par leur manière d'écrire, les éditeurs par leurs choix, les libraires par leur mise en valeur, les traducteurs par la transmission, les organismes culturels par le soutien et les lecteurs par la demande et l'amplification. Les actions individuelles se mettent en réseau pour produire des changements durables.
Faire évoluer les imaginaires
La littérature a le pouvoir de remodeler les imaginaires collectifs. En multipliant les voix, en ouvrant des récits qui interrogent les normes et en offrant des représentations nuancées, le champ littéraire participe à la formation des sociétés. Les gestes concrets — éditer, traduire, lire, critiquer, organiser — forment une trame d'actes qui influent sur la visibilité et la reconnaissance des vies racontées.
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